De la bouche et du reste... Et l’homme créa la virginité…
« Ma virginité me pesait comme une meule passée au cou. (…) Je la défendais depuis 5 ans et j’en avais par-dessus la tête. » (La cloche de détresse, Sylvia Plath)
Au fur et à mesure que les années avancent et que les robes de l’enfance s’effacent devant les mini-jupes et les premiers soutiens-gorges, s’engage une course. Une course où le but n’est pas de gagner mais de perdre.
Une course où il ne faut ni se hâter ni lambiner. Il faut attendre mais pas trop. Attendre le bon moment et le bon garçon. Celui qui nous respectera, celui qui nous aimera. On nous dit que c’est précieux. On nous dit qu'il faut. Que c'est la nature. Que ce n'est pas sale. Mais un peu quand même.
On nous prépare à ce « grand moment » pendant plusieurs années, la bouche sévère, l’air clinique, comme on enseigne les mathématiques ou la grammaire : l’éducation sexuelle consiste surtout à connaître les organes reproducteurs et comment les empêcher de commettre l’irréparable fécondation. « Apprendre le sexe » c’est surtout apprendre à ne pas tomber enceinte ni attraper de MST.
Cela semblait important même si je ne parvenais pas vraiment à m’y intéresser, malgré mes efforts. « Perdre ma virginité », pourquoi faire ? Et j’avoue qu’aujourd’hui encore, je n’y vois guère d'intérêt, dans la mesure où je ne suis pas assaillie d’instinct maternel débordant. Et que la pénétration n’intervient pas, anatomiquement, dans mon plaisir sexuel comme pour 99% des femmes.
La virginité est un curieux concept quand on y réfléchit bien. C’est une invention toute masculine.
Celle de donner un nom à l’absence de pénétration d’un pénis dans un vagin. Le sexe, la sexualité sont définis exclusivement par rapport à l’acte de pénétration, qui reste socialement et politiquement déterminant.
La « trace » du passage d’un homme sur une femme, comme le pneu d’une voiture marque une route.
Marquer son territoire, le coloniser, le posséder, l’obsession ancestrale des hommes.
Plus l’échéance fatidique des « 17,2 ans » approchait, plus mes camarades, dûment conditionnées, se hâtaient de se « débarrasser » de cette pesante et honteuse virginité, en se soumettant à la perforation réglementaire selon les codes sexuels dominants de notre société patriarcale.
Je me souviens qu’il était alors d’usage de comparer les degrés de virginité avec le distingo des orifices : la bouche (avec la langue ou sans) et « le reste ». Pour ma part j’étais et je suis toujours vierge de la bouche (avec la langue) et du reste. La totale. Le cas le plus grave.
Il est étrange que la virginité ne s’applique qu’au domaine sexuel. La virginité amoureuse n’existe pas par exemple : celle ou celui qui n’a jamais connu l’amour (mais a baisé) n’est pas vierge. Il n'existe d'ailleurs pas de mot pour désigner l'absence d'amour. On n’est pas vierge d’aimer. On n’est vierge que de pénétration. N’avoir jamais connu l’amour ne gêne personne contrairement à n’avoir jamais baisé. On ne fait pas de statistiques sur le premier amour mais uniquement sur le premier rapport sexuel. On ne fait pas de statistiques sur les inflammations du cœur, le vertige et l’ivresse. L'amour, l'émotion sans pénétration ne compte pas, n'existe pas. Seule compte la déchirure de l’hymen, "la consommation".
Pourtant, la seule chose qui me gêne, la seule chose qui me manque, cruellement, c’est de n’avoir jamais connu l’amour, le sentiment. Réciproquement. Aimer et être aimée en retour. Ce n'est pas une relation sexuelle que j'espère mais une relation. La sexualité m’est toujours apparue comme secondaire, accessoire même (même si j’ai bien compris, il était temps, que c’était la condition sinequanone de l’amour d’un homme). Je n’ai jamais ressenti de « gêne » de ma virginité, je veux dire de gêne physique. Je n’ai jamais rêvé de pénétration. J’ai rêvé de mots d’amour, de regards fiévreux, d’enlacements, de caresses langoureuses, de doux baisers mais de pénétration phallique stricto-sensu point, si ce n’est pour activer quelques fantasmes. Lorsque j’essaie de jouir seule, je me pénètre d'ailleurs rarement ou uniquement pour ralentir l’excitation.
C’est triste mais la nature a rendu incompatible l’homme et la femme jusque dans le plaisir sexuel. Ce qui fait jouir l’un ennuie l’autre et vice versa. Avec nos terminaisons nerveuses antagonistes, il faut malgré tout s’accommoder. Enfin ce sont surtout aux femmes de s’accommoder. Et c’est ainsi qu’est apparu le cortège de migraines, simulations et l’apparition du plus vieux métier du monde (si la pénétration était si jouissive, pourquoi les femmes se feraient-elles donc payer…) ?