« Est-ce que tu penses à moi avant de t’endormir ? »
La nuit, les femmes seules se contorsionnent dans leur lit
vide. Cherchent désespérément mais ne trouvent pas le creux, ni la position. Les
yeux comme des puits, le corps écrasant qui refuse de s’évaporer. Et le roulis
intérieur, le vacarme dans leur tête, qui les retient à la surface de la terre,
à la surface des draps et des couettes. Rigides et hérissées en ronces sous la
cotonnade fleurie de leur chemise de nuit, elles perdent le sommeil et la raison.
Le corps radioactif qui ne sait plus comment s’inscrire dans la géométrie et
l’espace. Allumer et éteindre l’abat-jour, la télévision, ses reportages animaliers et ses rediffs de roue de la fortune... ; les chiffres écarlates
des heures profondes qui défilent sur le cadran noir lumineux. Le corps
clignote, s’affole de ne pas pouvoir disparaître au pays des rêves...
Les ombres et les spectres s’échappent des fissures du plafond et des murs, les
démons surgissent du parquet de leur
chambre. Se lever, se recoucher, boire un verre d’eau, la camomille et le
lexomil.
L’enfant a besoin du conte merveilleux, de la peluche serrée contre son cœur pour ne plus
avoir peur du monstre sous le lit. Le chat s’endort sur les genoux, bercé par
la caresse. Et les femmes… Les femmes ont besoin de la présence de l’amour, de l'enlacement, de
la masse qui fait poids de l’autre côté du lit et crée l’équilibre. Elles ont
besoin de sentir l’Autre près d’elle, avec elle. Même si ce n’est qu’en pensée, une image, un espoir.
Les paupières n’acceptent de se refermer que sur la certitude ou l’image de l’amour. Le seul capable de verser la potion soyeuse : la dose suffisante de paix et de douceur dans les
veines. Le meilleur des tranquillisants, l’anxiolytique le plus puissant.
« Est-ce que tu penses à moi avant de t’endormir ? ». La question était précise et inattendue. Impudique. De celui qui sait. Il ne me demandait pas si je rêvais de lui mais si c’était son visage qui m’aidait à rêver. La preuve irréfutable. J’ai nié, il était contrarié… Et c’est alors que j’ai compris que j’étais aussi sa dernière image.