Une (certaine) amitié
“Harry: You realise of course that we can never be friends.
Sally: Why not?
Harry: What I'm saying is... and this is not a come-on in any way, shape or
form, is that men and women can't be friends because the sex part always gets
in the way. » (extrait : When Harry met Sally")
Il vaut mieux « s’en tenir à des perspectives amicales ». Je souris à sa petite vengeance, sa perfidie touchante d’enfant orgueilleux. Il veut me montrer que c’est toujours lui qui tient les rênes, renverser les rôles, ce n’est pas lui "l’éconduit" mais moi. Et c’est ainsi que je l’aime. En seigneur.
J’entre bien volontiers dans sa petite comédie d’ami désolé et joue les déçues. C’est probablement ce qui pouvait m’arriver de mieux. Feindre l’amitié et gagner des paniers garnis de temps supplémentaire sans pression, puisque garantis sous le rassurant et inoffensif sceau du « purement amical ». Poursuivre tranquillement ma découverte, mon exploration de son être, recueillir ses confidences, ses états d’âme, lui confier les miens… Jusqu’à peut-être, je l’espère, la certitude, la sensation de l’attirance, de l’élan du corps que je sais déjà réciproque. Et si elle n’advenait pas, il n’y aurait pas de gêne ni de culpabilité puisque nous sommes censés être deux simples amis… Oui, c’est vraiment la situation parfaite, les conditions les plus confortables.
En 1989 est sorti sur grand écran une histoire fantastique qui allait marquer l’histoire des comédies romantiques et de façon plus générale du cinéma. Une histoire qui allait tout particulièrement me marquer, m’enchanter, me faire rêver. Une histoire que je ne cesse de vouloir vivre. Aussi utopique soit-elle…
Celle d’un homme et d’une femme qui se croisent, s’éloignent puis se retrouvent et commencent à tisser une complicité unique presque malgré eux. Il y a Harry, le tombeur insolent et désinvolte qui enchaîne les petites amies (et ne croit farouchement pas à l’amitié homme-femme) et Sally, la girl next door, un peu coincée, midinette sur les bords, aussi charmante que naïve (mais qui clouera tout de même le bec fanfaron d’Harry lors de la fameuse scène du "fake orgasm"). Il y a leurs grands impers beiges (et les chapeaux de Sally) dans les rues de New York, leurs conversations interminables au téléphone le soir au lit, en regardant et commentant le même film – Casablanca- à distance, les taquineries, le karaoké improvisé dans un magasin, la junk food dont on s'empiffre dans les drugstores, les promenades dans Central park sous les flamboyants ormes dorés et ambrés. Cette collection de bons moments qui dépasse la pure attraction physique.
Harry qui consomme les femmes sans scrupules regarde pour la première fois une femme autrement que comme une proie mais comme un être-humain à part entière. Il aime être avec elle, pour le simple plaisir de sa présence, sa personnalité, ce qu’elle est. Il fait attention à elle. Sans « contrepartie », sans autre attente. C’est ce qui me plait tant dans ce film (emblématique des DVDs de célibataire désespérée).
La scène finale de la déclaration d’amour lors du réveillon de fin d’année, est sans doute la plus belle jamais faite, parce qu'elle reprend justement toute l'essence de leur amitié : "I love that you get cold when it's 71 degrees out. I love that it takes you an hour and a half to order a sandwich. I love that you get a little crinkle above your nose when you're looking at me like I'm nuts. I love that after I spend the day with you, I can still smell your perfume on my clothes. And I love that you are the last person I want to talk to before I go to sleep at night. And it's not because I'm lonely, and it's not because it's New Year's Eve. I came here tonight because when you realize you want to spend the rest of your life with somebody, you want the rest of your life to start as soon as possible."
Il y a la bienveillance et la tendresse, le respect puis… l’amour. Ce film exprime ce qui m’apparaît comme mon idéal amoureux : la découverte et ces avancées reptiliennes de l'un vers l’autre dans une amitié ambigüe. Ce n’est pas une amitié platonique, c’est une amitié de séduction, un jeu doux et subtil. Apprendre à aimer en prenant le temps de se connaître, sans que cela ne soit un enjeu, un ultimatum. Qu’un homme accepte de réfréner ses instincts sexuels m’apparaît comme la plus sublime des preuves d’amour. Mais de l’aveu même des scénaristes de « When Harry met Sally », ce genre de relation a peu de chances d’exister dans la réalité et serait même vouée à l’échec… Un mythe s’effondre. La trahison ultime, celle des auteurs qui ne croient pas à leur propre histoire…
Certains couples se forment sans préambule, en se jetant l’un sur l’autre au cours d’une soirée arrosée, mais moi, j’ai besoin de préambule, de préludes et de préliminaires... De tout ce chemin qui me mènera jusqu'à bonne destination cette fois-ci je l'espère...