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9 août 2010

"Le coeur est un chasseur solitaire" (2/2)

Près de quinze ans plus tard, je n’ai pas beaucoup évolué…
L’adolescente obsessionnelle et murée est devenue une femme « encore jeune », qui parvient tout juste à établir les premiers contacts, à exprimer ses sentiments, à accepter l’idée d’attirance. Au moins verbalement.
Mais cette richesse de l’Autre, la connaissance profonde de toutes les strates d’un être : cette sphère intime si passionnante et privilégiée me reste encore hors d’atteinte.
Parfois je l’effleure, j’y suis admise provisoirement, par inadvertance…, avant d’être rejetée brutalement. Interdite sans le sésame sexuel. Il n’y aura pas de don de l’âme sans don du corps. Je suis condamnée à assouvir ma soif de l’Autre, sans partage. L’espace temps qui me sépare du prochain message, appel, rendez-vous est toujours plus pesant, écrasant, infini... Ce vide qui s’étire, se dilate douloureusement. Et qu’il faut remplir. Agiter et animer, même artificiellement, les eaux stagnantes de cette relation croupissante. Je me livre encore et toujours à ce travail obscur de violation de vie privée, de jardin secret. Exploitation de données personnelles sans autorisation de la CNIL ni respect de la loi « informatique et libertés »…

Découvrir dans les souterrains ce qu’Il me refuse au grand jour. Apaiser cette brûlure de l’absence et du silence en fouillant sans vergogne ses tiroirs et ses poches on line.
Je « googlise » son nom, son prénom. Elémentaire. Quelques réseaux sociaux me fournissent les premières pièces du puzzle, parcours scolaire, nom des établissements (huppés), la liste de ses films, ses playlist… Je regarde les photos de ses vacances sur une plage à Malaga, de bandes d’amis qui sourient sur un rocher ou la terrasse d’un café. Des barbecues. Des « délires »…

J’essaie de m’infiltrer, de contourner les obstacles des paramètres de confidentialité.
Après le profil officiel, j’attaque plus sournoisement en saisissant ses e-mails comme mots clés, cherchant à découvrir un éventuel pseudo. J’essaie toutes les combinaisons avec ou sans espace, avec le prénom, le lieu de localisation… Jusqu’à déterrer la mine, le gisement miraculeux : les forums qu’il fréquente. Des centaines de posts à explorer qui viendront compenser tous les messages qu’il ne m’envoie pas…
Je crains de tomber sur des sites scabreux, des combinaisons en latex, des cravaches…
Mais rien de tout cela. Téléphone mobile, consoles de jeux vidéos… : mes yeux avides et perplexes butinent le nectar de ses messages ésotériques à base de terminaux, systèmes d’exploitation,  configs, options « full », émulateurs et réseaux… Je m’amuse de ses interrogations pour « retourner au vaisseau » ou sur « la taille des boulets ». Ce monde masculin où l’on s’émerveille de tirer sur des ennemis, vaincre, combattre… tuer. J’ingurgite toutes ces données techniques avec le même enthousiasme que s’il s’agissait de mots d'amour. Et m’étonne de cette âme de « geek » que je ne soupçonnais pas…
Grâce à la magie (noire) de la toile qui conserve toutes nos traces, je récolte aussi ses messages d’étudiant, revente de places de concert (qu’il se dit prêt aussi à échanger contre « une fille facile » à l’occasion…), travaux de fac, plainte contre une agence de voyage peu scrupuleuse. Sa naïveté émouvante…

Il est aussi membre fidèle d’une étrange communauté internationale passionnée d’art de vivre et de « fashion ». Plus proche de l’image que j’en avais, je découvre ses connaissances pointues des créateurs dont je n’avais jamais entendu le nom auparavant. Ses recherches de vestes en cuir, boots, costumes, d’adresses de luxe à New-York, Milan…, ses analyses détaillées et précises – en anglais- sur les coupes, couleurs et qualité des matières…  Le « guerrier » se révèle ici plus coquette qu’une midinette shopping-addict, qui compare ses looks du jour (tout de noir ou de gris à la beauté spectrale et austère), photos à l’appui, parsemés de smileys roulant des yeux, rougissant ou hilare et même de fleurettes, avec ses cybers-amis.
Au fil des discussions, ses sarcasmes et son snobisme, personnage auquel il aime jouer, agacent ses pairs malgré ses interventions brillantes.
Alors qu’il est si avare en mots avec moi, il s’avère ici bavard et prompt au commentaire prolixe.

Mais le meilleur reste à venir : son blog. Pas un journal intime malheureusement, mais ses photos qu’il publie. Il m’avait parlé –trop brièvement - de cette passion, sans mentionner l’existence  de cette adresse ni me montrer son œuvre…
Aujourd’hui tout le monde fait de la photo (ou écrit un livre). Je ne compte plus les collègues, amies ou leurs maris photographes amateurs qui se ruinent en focales et autres objectifs perfectionnés, dévorent les revues techniques et exhibent leurs joujous à la moindre sortie…
L’orgueil de poser SON œil sur le monde, livrer SON regard et espérer susciter l’admiration, exposer, se faire remarquer… La crise du « J’aurais voulu être un artiste » le w-e avant de retrouver leur tailleur et leur cravate, les dossiers ennuyeux le lundi. Des clichés qu’ils entassent sur leur disque dur et qu’ils n’ouvrent plus jamais ensuite.

Ses images défilent devant moi et je découvre le monde qui l’entoure, le monde comme il le voit. Voir avec ses yeux. En noir et blanc ses rencontres de hasard dans la rue : hommes aux mines cocasses, étranges ou dévastées, des femmes en trench serrant leur sac à main contre elle (ce qui l’intrigue beaucoup apparemment), soucieuse ou pressée, des minets gominés frimant dans leur décapotable, des enfants construisant des châteaux de sable face à l’océan ou tirés par leur mère, boudeurs…
Et puis surtout, contre toute attente,… des couples, des « amoureux ». Des baisers volés sur un banc de parc, une étreinte sur le pont des arts, des corps enlacés, des visages, des cheveux entremêlés, des mains, des lèvres scellées, partout dans la ville. Pudique. Délicat. Terriblement romantique…
Et la créature flasque et rose qui ne peut s’empêcher de se contracter, de pratiquer l’une de ses petites convulsions douloureuses trop familières. Son cynisme à Noël où il me déclarait être « célibataire par principe », se moquant de l’amour avec ses « petits cœurs »… "On ne recherche pas la même chose..."

Je ferme les écrans, les interfaces, cette boule de cristal qui m’a révélé ses secrets.
Le plaisir âcre et acide de
tout savoir de lui ou presque. Pourtant, nous ne nous parlons plus depuis bientôt 2 mois…

(texte correspondant à la période mars-avril 2010)

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Commentaires
C
waouh 40 reponses sur un sujet qui attire toujours beaucoup de personnes !..<br /> <br /> pas compris si c'est un texte vécu ou 'inventé' mais fouiller dans la vie d'autrui ..pas top du tout !!....
T
J'adore votre description sur les photographes amateurs dont je fais franchement parti, à la fois passionné par les oeuvres d'artistes et à la fois incapable de faire accepter une de mes photos à un concours faute de talent et de travail... Merci votre texte m'éclaire sur ces addictions stupides même si je vais sans doute les poursuivre. Que faire d'autre sinon...
S
Bonjour à vous<br /> merci LadyBird et Mag de ton commentaire tardif mais tjs apprécié !<br /> Je crois que tu comprends ce que je peux vivre.<br /> Je ne pense pas pouvoir être aimée pour ce que je suis..., en toute sincérité.<br /> L'amour est un contrat basé sur un échange marchand, où la sexualité est une monnaie d'échange comme une autre. Mais bon parfois, il arrive que certaines personnes s'attardent malgré tout sur moi... A suivre, mon chemin n'est pas encore fini apparemment...
M
Oups, c'était en réponse au poste du 28 juillet !
M
Commentaire tardif !<br /> <br /> Je me reconnais bien là aussi ! Sauf que 12 ans après c'est pour moi toujours la même chose...<br /> <br /> Chercher quelques miettes de sa vie privée semées de si de là sur les réseaux sociaux et autre pages net. Trouver amis, et connaissances en commun afin qu'il m'y voie, sache que j'existe... Et guetter toute les heures ma boite mail voir s'il n'y a pas « une demande d'amie », mais elle reste désespérément vide, puisqu'il ne sais même pas mon nom... <br /> <br /> « Interdite sans le sésame sexuel. Il n’y aura pas de don de l’âme sans don du corps », barrage infranchissable qui bloque tout élan ou toute envie d'aller plus loin de peur que ça ne le fasse fuir. Impossible de franchir une autre étape, ne serais-ce que de lui dévoiler la moindre parcelle de mon envie d'être avec lui, de le connaître, cette foutu peur de l'échéque, du rejet que je connais si bien.<br /> <br /> Le moindre regard, le moindre échange et pour moi terrifiant, j'ai peur qu'il devine ce que je peux ressentir. Alors je me réfugie dans une monde de fantasme là ou je sais que je ne me met pas en « danger », je ne lui dévoilerai rien, ni qui je suis ne ce que je ressent, et resterai enfermée dans ma bulle, dedans au moins je suis sur de na pas souffrir...<br /> <br /> Toi tu as le courage de t'exprimer sur ça, celle de rencontrer un homme et tenter ta chance hors du fantasme mentale ! Pour moi l'idée même d'un tête à tête et effrayant et impossible à envisage (ça ne m'est d'ailleurs jamais arrivé !). Continu a chercher. J'espère toujours qu'il existe quelque part un homme qui sera aimer pour ce qu'on est sans préjugés ni jugement...<br /> <br /> Merci pour ces beaux textes.
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