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28 avril 2009

Quand Sally ne rencontre pas Harry

Il y a ce sentiment, encombrant, qui ne me quitte pas depuis l’âge de mes 15 ans.
Vipère silencieuse dont le poison a contaminé sournoisement mes veines, absorbant lentement et inexorablement jusqu’à sa complète extinction, l’aptitude au contentement, et donc au bonheur, de l’enfance.
La frustration.
Cet « état mental d'insatisfaction caractérisé par un déséquilibre entre un désir ou une attente et sa (non) réalisation » comme disent les encyclopédies. « Cette tension engendrée par un obstacle qui empêche le sujet d’atteindre un but ou de réaliser un désir » comme disent les psychologues.
Tout n’est plus devenu que frustration. Titanesque, farouche et brutale frustration, brasier intérieur qui me consumait et me ravageait. Un sentiment exacerbé à l’adolescence qui a fini par se résigner, les années passant, sans pour autant jamais cesser de me tourmenter dans les arrières-chambres de l'esprit.

La frustration brûlante et dévorante de ne pas être celle que j’avais rêvé de devenir, de ne pas avoir vécu les histoires et les aventures que j’avais tant vu jouer sur les écrans et les pages de mes romans, fantasmés en rêve et dans mes jeux d'enfant. D’être passée à côté de tout (et où la sexualité arriverait bonne dernière si je devais faire un inventaire). Frustration de constater, année après année, le décalage, le fossé, l’abyme qui me sépare de tout ce que j’aurais voulu connaître et dont je resterai toujours vierge. Frustration accentuée par mon impuissance, mon incapacité à faire changer le cours des choses, à ne pouvoir que subir, manquer et regretter.

Parmi les multiples sources de frustration, c’est peut-être l’absence de « grande(s) rencontre(s) » dans ma vie qui est la plus vive et la plus insupportable. Je n’ai pas fait LA rencontre ou au moins les bonnes rencontres, les décisives, celles qui font basculer une vie, ces tournants significatifs qui donnent du sens ou au moins du goût à une existence qui sans cela, reste désespérément plate et terne. Ces rencontres qui changent les vies et leur donnent leur relief.
Rencontre au sens large, amoureuse en premier lieu mais aussi ces grandes amitiés presque passionnelles, ces liens intenses qui ne peuvent se former que pendant la jeunesse quand l’âme ardente se cherche, se fertilise et se révèle à travers l’Autre.
Il n’y a que les rencontres qui peuvent nous sauver et si l’on s’obstine à les manquer alors on manque sa vie. Je n’ai pas su faire ces rencontres ou lorsque par miracle, elles se sont trouvées sur mon chemin, je les ai sabotées, sous le double effet de l’intimidation et de la trop forte charge émotionnelle que je faisais penser sur leur fragile éclosion.
Je n’ai pas su les cultiver, les faire fleurir et goûter à leurs parfums enivrants. Je n’ai pas osé prendre le risque de les vivre pleinement, par peur des changements et bouleversements qu'elles auraient pu occasionner. J’ai préféré me cantonner à des relations fades, des refuges faciles et sans danger, où je stagnais sagement et… où je périssais d’ennui. Des pis-allers en attendant, en espérant mieux… un jour. Ces silhouettes sans couleurs, ces ombres pétries des mêmes complexes et des mêmes frustrations, parmi lesquelles je me cachais tout en enviant avec ardeur ces bandes joyeuses à l’autre bout de la cour. Ce périmètre sacré, petit territoire rendu précieux par leur présence, carré VIP coincé entre un banc et quelques buissons où des filles en vestes de velours et bottes en cuir dans laquelle elles rentraient leurs jeans et des garçons en barbourgs et sac à dos creeks se donnaient la réplique avec aisance et style. J’enviais cette micro-société, cette caste supérieure. Leur insolence étincelante, leur non-conformisme.
J’observais de loin, à la dérobée comme toujours, leurs bouches souffler avec arrogance, des volutes de fumée blanche et former des mots qui me resteraient à jamais inconnus et interdits. Je ne partagerai jamais leurs conversations animées, leurs rires, leurs codes, leurs histoires, leurs secrets, leur monde tellement riche et merveilleux. Tellement « cool ».
Car voilà mon drame, je n’étais pas et ne serai jamais « cool ». Ce n'est pas quelque chose qui s'apprend, qui se travaille ;  c'est un don que l'on a ou pas...
Je m’abimais dans leur contemplation, tentant de comprendre et de reproduire cette aura qui les entourait. Achetant les mêmes vêtements, imitant maladroitement leur allure, leur façon de marcher, de se coiffer…. Je tentais de m’initier à ces musiques mystérieuses, loin des tubes technos et des soupes abrutissantes déversées par les radios, qu’ils écoutaient dans leurs écouteurs répartis entre une oreille féminine et masculine, de surprendre les titres de leurs livres, non inscrits au programme du bac français que j’apercevais à leurs mains, ces tracts et invitations qu’ils faisaient circuler auprès d’heureux élu(e)s. Mais je ne restai qu’une pâle et ridicule copie, un pathétique sous-produit. Une coincée qui s’enfuyait ou rougissait jusqu’à la moelle dés que l’un de ces êtres tellement convoités s’approchait.
J’étais affamée de toutes ces nourritures spirituelles pour dégager mon horizon étriqué de lycéenne docile, trop scolaire. Mais cette faim démesurée m’empêchait paradoxalement de la satisfaire, perdant tout naturel et toute répartie en présence de quelqu’un qui m’impressionnait, « quelqu’un d’intéressant ». Alors que tant de curiosité, de désir et d’avidité m’habitaient, je me comportais en bécasse midinette, incapable d’aligner la moindre pensée sensée ou au moins intelligible quand l’occasion se présentait… avant de me maudire férocement ensuite. Ne sachant alors que raccourcir, avec amertume, mes jupes pour susciter l’intérêt. Ne sachant que projeter une image qui n'était pas la mienne aux yeux des autres. Il n’y avait guère que dans mes copies que je parvenais à exprimer une quelconque profondeur et vérité sur ce que j'étais vraiment, intérieurement. Je me souviens d’ailleurs des étonnements de certaine(s) lorsque mes devoirs étaient lus à vois haute par les professeurs « pour l’exemple ».
Une intention louable qui m’attirait ensuite bien sûr plus d’animosité que de popularité…

Je m’atrophiais alors dans ces groupes médiocres de petites femelles, de futures desesperate housewifes, ces gynécées stériles ne sachant s’épanouir qu’à travers un énième achat vestimentaire, sorties en boîte, romances imaginaires avec quelques inconnus qui ignoraient jusqu’à leur existence ou autres cancanages de jeunes mégères en herbe mais déjà fort expérimentées. Je pataugeais et m’engluais jusqu’à la rage.
Je ne rêvais que de discussions enflammées, de débats, de nouveauté, de renouvellement.
De substance. De discussions fiévreuses. Avoir la fièvre. La fièvre et le cœur battant. Ma dose d’exaltation et de fascination. J’étais prête pour l’emprise totale, me laisser envoûter par un esprit brillant, m’extirpant de la banalité où je m’enlisais, de cette chape d'ennui grise asphyxiante.

Je cherchais désespérément quelque chose, quelqu'un de différent, sans savoir quoi exactement ni vers qui me tourner pour apaiser ma frustration. Ces groupes lointains et inaccessibles m’apparaissaient ainsi comme des eldorados dans mon désert intérieur. Je les entendais avec déchirement se donner rendez-vous et s’éparpiller dans les cafés alentours, leur casque de scooter sous le bras, lorsque la sonnerie de fin de journée avait retenti. Ces QG où ils avaient leurs habitudes et où ils poursuivaient leurs interminables (et passionnantes, je n’en doutais pas) joutes verbales, ponctuées de flirts entre stars de la classe. Parfois ils changeaient de repaire et les lycéens lambdas suivaient panurgiquement leurs choix. Même si leurs tables restaient inaccessibles, leur proximité ou simplement leur vue nous donnait l’impression de vivre quelque chose ou d’acquérir une quelconque importance alors qu’ils ne nous prêtaient aucune attention.

Cette frustration ne m’a jamais quittée même si j’ai appris à l’anesthésier. Comme le reste.
Mais lorsque quelques années plus tard, un peu plus confiante en moi, j’ai rencontré le miracle de l'an 2000, j’ai cru que le temps était venu de pouvoir enfin l’assouvir. Cruel espoir…

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Commentaires
L
Je fais ta connaissance depuis quelques heures en lisant ton blog, et cette rencontre m'enchante. Tu es une personne rare, et tu écris remarquablement. Je te souhaite de trouver un jour cet amour absolu qui te fera oublier toutes tes souffrances - et que ces souffrances t'auront permis de trouver.
S
Il n'est jamais trop tard pour faire de grandes rencontres.
S
quelle analyse ! je suis impressionnée :-)<br /> Pr te répondre, oui je pense que les "grande(s)" rencontre(s) (aussi bien amicales qu'amoureuses) sont fondamentales dans la vie. c'est ce qui me manque désespérément je le réalise. Etre vierge de grandes rencontres c'est ce qu'il y a de plus terrible !
S
Le maître-mot de ce post est bien : "frustration". Je pense qu'avec "culpabilité", ce sont les deux grands maux qui touchent la génération des 25-45 ans, issue de notre éducation judéo-chrétienne. Phénomène accentué par une éducation catholique stricte. Mais là n'est pas le débat et débat ; il n'y a pas.<br /> <br /> En vous lisant, je comprend que cette frustration vient du fait que certains de vos rêves (d'enfance et d'adolescence) ne se sont pas réalisés. Mais je m'interroge sur ce qu'étaient justement ces rêves qui ont déclenché cette frustration si "titanesque, farouche et brutale".<br /> En avez-vous au moins l'idée ?<br /> <br /> Vous parlez ensuite de "Grande Rencontre". On peut se poser la question : qu'est-ce qu'une Grande Rencontre ?<br /> Et puis on peut aussi se poser les questions : Est-ce vraiment SI utile dans la vie ? Est-ce un but ? Peut-on vivre sans ?<br /> <br /> Vous parlez ensuite de rencontres (pas forcément sensuelles), faites depuis 5 à 10 ans, dont toutes ont été, avortées par votre fait.<br /> Et si votre subconscient avait décidé de casser ces liens parce que, au très fond de vous, vous saviez que ces liens n'étaient pas "bon" pour vous ? (ce n'est pas un jugement, car je ne vous connaît pas et ne connaît encore moins ces liens, mais juste une question, comme ça, histoire d'ouvrir le débat.)<br /> <br /> Votre description de vos années collège-lycée est attendrissante !<br /> Pourquoi choisir ce vocable "attendrissante" ?<br /> Tout simplement parce que vous avez vécu exactement la même chose que 99% de vos camarades de l'époque. Mais aussi 99% de vos camarades plus anciens et ... 99% de vos camarades plus jeunes.<br /> <br /> L'effet d'appartenance à un groupe est terrible. Le tout, comme vous l'avez si justement décrit, ponctué par des codes vestimentaires et d'attitudes. Mais j'ai pu remarquer qu'être en marge du groupe-mouton permet de ne pas, justement, être un mouton ...<br /> Et puis, dans une société de liberté comme la notre, pourquoi vouloir à tous prix appartenir à un groupe si on ne s'y sent pas bien, pas à l'aise ?<br /> <br /> Encore une remarque du dimanche soir et ce sera la dernière ... et si au lieu "d'anesthésier" votre frustration, vous essayeriez de la comprendre, de l'assumer et, finalement, d'en tirer partie ?<br /> (OK, je sais, les conseillers ne sont jamais les bons payeurs ... rires)<br /> <br /> Bonne semaine, Stephane
S
"tout arrive un jour", non je n'y crois guère mais c'est pas bien grave :-)<br /> <br /> en fait dans ce texte j'ai voulu exprimer ce<br /> ce qui me manque vraiment et me tenaille. ma vie manque de saveur à cause de ce manque de personnes avec qui j'ai des affinités profondes, de personnes qui m'enthousiasment, qui me comprennent vraiment... Ma vie a toujours ce goût d'ennui et de frustration que j'avais à l'adolescence.<br /> Je regrette d'avoir fait foirer qques belles rencontres ces dernières années... Mais le pire c'est que j'ai la sensation que même si je devais rencontrer à nouveau des personnes d'importance pour moi, je les laisserai encore s'échapper, de par mes nombreux blocages (non sexuels).
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