Matinée de travail...
"Celui qui attend une lettre de la personne aimée sait ce pouvoir de vie ou de mort des mots"
"Mon existence était suspendue à du langage qui n’existait pas encore, à la probabilité d’un langage" (Le voyage d'hiver, Amélie Nothomb)
Les dossiers sont restés fermés et abandonnés sur le bord du bureau.Le fichier powerpoint, ouvert par principe, ne s'enrichira pas d'un nouveau diagramme ou commentaire oiseux non plus. Ma matinée se passe à lui écrire et ré-écrire un e-mail. L'épuisant (et trop récurrent) exercice de trouver les mots qui pourront retricoter un lien en lambeaux... Choisir, doser entre le ton plaintif voire tragique (qui risque de faire peur !) ou au contraire celui qui "dédramatise", se forcer à jouer de cette fausse dérision, de ce ton badin qui m'est si difficile actuellement, ne pas laisser filtrer trop de désespoir, même s'il m'emplit et ne demande qu'à se répandre dans cette missive de la dernière chance.
Chaque phrase sitôt formulée sitôt effacée, je connais déjà les réponses aux questions que je me pose, que je lui pose.
Il n'a pas de temps à perdre avec moi, pas de temps pour moi, je ne suis pas "unique" à ses yeux, je suis une parmi tant d'autres, parmi tant d'occupations, de rendez-vous, de visages à voir et à qui parler... : tout est si simple à comprendre (et déjà glissé à demi-mots de surcroît) mais malgré tout le besoin impérieux de lui lancer un ultime appel. Aussi inutile,vain et pathétique soit-il. Je devais le faire.
Comme tous ceux que j'ai pu lancer à d'autres avant lui, toujours dans les mêmes circonstances. Toujours le même schéma et pourtant un peu différent cette fois...
Je préfère être pathétique que d'avoir le moindre regret ou le plus léger doute. Je ne crains pas de n'avoir aucune réponse, je m'y attends, sachant avoir été remplacée depuis longtemps...
Je n'ai une fois de plus pas su dire ou faire ce qu'il fallait en temps voulu.
Il faut savoir jouer quand le rideau est encore levé..., tandis que je ne sais m'agiter que lorsqu'il est retombé...
Mais je crois avoir compris quelque chose, retirer enfin un quelconque enseignement de l'expérience: je ne peux pas me permettre le luxe d'avoir des exigences avec quelqu'un qui me plait et à qui je ne déplais pas (et non pas à qui je plais comme je l'avais initialement cru, mais je m'en contente bien volontiers).
L'évènement de la réciprocité est bien trop rare pour que je gâche cette chance miraculeuse.
Je dois enfin m'affranchir du poids de mes attentes préconçues, de "mon idée de ce que doit être l'amour, le prélude amoureux", et saisir les choses comme elles viennent. Même si ce n'était pas ce dont j'avais rêvé. M'adapter. Et surtout, surtout ne faire aucun reproche.
Avoir le privilège de parler ou de voir quelqu'un que j'aime est un bien trop précieux pour que je le mette en péril d'une quelconque façon.
Mon orgueil doit apprendre à se taire. On ne devrait jamais avoir d'orgueil en amour lorsque le bonheur (aussi temporaire et fragile soit-il) est en jeu.
Même s'il est bien difficile de comprendre l'Autre... Si seulement il était possible de lire dans les pensées, de posséder le dictionnaire adéquat pour les décoder et les interpréter dans le bon sens, le bonheur de l'humanité serait alors assuré. L'incompréhension, c'est bien de là que viennent tous nos maux !