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Standby
28 décembre 2009

Blood on the dance-floor

Il y a quelques années, une grosse décennie, j’étais une lycéenne, une étudiante tellement bancale, tellement maladroite, tellement encombrée par mes désirs contradictoires, cette féminité que je ne savais pas maîtriser qui partait au galop dans toutes les directions avant de se cabrer, qui cherchait à s’exprimer avant de se refouler brutalement. Cette féminité qui n’avait pas tenu ces promesses fugaces, en alourdissant trop vite ma silhouette, en désordonnant les hormones qui défiguraient et faisaient luire visage et cheveux.

Et pourtant l’envie, la rage presque de séduire, d’être aimée, d’aimer… A cet âge, il y a une sorte de violence dans cet impératif commandé par le sang. Oui, quelques chose du vampire dans ce besoin intense et culminant, de presser un corps, un visage contre soi. Quelque chose d’irrépressible et d’effrayant. Je me souviens que je lisais cette même soif dans les yeux des autres et cette même impuissance à trouver de quoi la satisfaire. Cette observation bestiale que l’on tentait de masquer le jour derrière une expression maussade et revêche et qui éclatait la nuit. Dans les boîtes.

Les heures passées devant le miroir à appliquer des couches de fond de teint matifiant et couvrant pour peaux acnéiques qui formaient un épais masque couleur carotte sur ma mine dépitée, ravagée par le sébum. Tenter de redonner forme humaine à mes cheveux survivants des mes expériences de (dé)colorations... Les essayages de jeans et de tee-shirts pailletés jamais concluants pour ressembler à une héroïne de série high-school américaine. Les efforts forcenés pour tenter de devenir une autre… Et cette frustration amère de ne pas y parvenir, de ne pas me sentir belle (et de ne pas l'être !).

Je partais anxieuse et déprimée dans la nuit froide et hostile, avec mes camarades aussi fardées et mal fagotées, dans ces lieux confinés et assourdissants où personne ne m’attendait, où personne ne m’avait invitée… Je priais pour me faire aborder… par n’importe qui…, pour ne pas rentrer seule et je sentais avec amertume et jalousie les regards glissant sur moi, préférant mes acolytes… Je pensais au prix de l’entrée, du vestiaire, de ce verre pris au bar, toutes ces dépenses inutiles qui ruinaient mon modeste argent de poche. Je pensais à mon lit chaud et tranquille, aux romans et aux films merveilleux que j’aurais pu lire, regarder bien loin de ces boules à facettes tragiques.

Parfois un apprenti-quelque chose tout aussi boutonneux et esseulé que moi, débarqué d'une campagne alentour, me débitait quelques banalités dans un souffle exhalant la bière et la nicotine. Et malgré l’aversion, je m’y agrippais comme à un radeau en plein naufrage.
Au fur et à mesure des heures qui s’égrenaient, nous étions des dizaines, des centaines à ressentir dans l’atmosphère moite saturée de lasers, l’urgence de trouver… Avant la fermeture. Je regardais avec l’envie du désespoir les corps qui se serraient en aveugle sur les slows qui clôturaient la nuit… Et puis le retour, décomposée, le font de teint qui coule, les comédons révélés dans toute leur nudité horrifique, où l’on essaie de se persuader que l’on s’est bien amusé malgré tout, qu’on était pas là « pour ça » de toute façon mais pour danser, « s’éclater »… La fatigue, le froid plus mordant que jamais après cette immersion étouffante, les odeurs nauséabondes, l’humiliation de cette mascarade mercantile, je me promets que c’est la dernière fois… avant le prochain we où titubant sous le manque et dévorée de solitude, je revenais errer sur le dance floor au milieu d’autres zombies…

Je frissonne en repensant à cette douleur tellement aiguë qui lacère le ventre, cette bouche hurlante et brûlante que je n’ai jamais su nourrir.
Au fil des années, elle s’est calmée, cessant de me torturer avant de ressurgir parfois, de plus en plus rarement, vorace et destructrice, mais jamais avec cette intensité insoutenable d’alors.
Pourtant, je ne peux pas vraiment dire que tout cela est bel et bien derrière moi. Je ne peux pas vraiment dire que je me sente à l’abri, protégée.
J’ai toujours peur qu’elle me rattrape ou de voir briller sa lueur un peu folle dans d’autres yeux…
Cette peur qui ne se tait pas même lorsque je suis face à Lui, comme si j'avais, par miracle, rendez-vous avec le garçon le plus beau et le plus populaire de toute l'école et qu'il me couve de ses yeux ardents, qu'il m'enveloppe de sa chaleur désirante...

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Commentaires
N
Comme toujours...<br /> <br /> Merci, Standby, de m'entraîner si magistralement dans un univers dont je ne connais à peu près rien. L'écriture a vraiment quelque chose de magique lorsqu'elle est ciselée avec art et sensibilité.
S
Bonjour @ Standby.<br /> Que je sois chamboulé ou soucieux d'une manière diffuse, je m'attend a du neuf, du nouveau,et dans la vie morne d'un vieux les nouveauté sont les bienvenues ?<br /> "Toujours prét pour l'aventure" ,<br /> voila ce que nous devrions souhaiter ?<br /> C'est la vie qui bouge aprés tout ?;-)<br /> Avec ma sympatie .
S
merci de vos petits messages et de cette analyse Dyad ! analyse qui se tient certes mais je reste sceptique, je sens autre chose en moi...<br /> je suis un peu chamboulée ces tps ci par cette révélation sur moi-même, c'est une remise en question de pas mal de choses..., raison pr laquelle je reste assez silencieuse..., j'espère que vous ne m'en voudrez pas...<br /> Je vous souhaite néanmoins une très bonne année 2010 comme le veut la tradition !<br /> à bientôt,
S
Je suis mâle ,aussi,je ne resens pas ce beau texte a l'intèrieur de moi.<br /> Mais,c'est vrais qu'on se casse la tete pour rien,je crois .<br /> Etre soit déjas ,etre ce que nous sommes au fond de nous ,etre vraiment nous meme ................quel courage surement ;-)<br /> Tendrement a vous .
G
Superbe description particulièrement repoussante.<br /> Vive le club acnée, et aussi celui complexe.<br /> <br /> Toujours une aussi jolie plume...<br /> <br /> Bonne journée :)
Standby
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