Les lois de l'attraction (3) : Un genre d'homme
La formation des goûts et des attirances, en particulier amoureux, est un long et lent processus. Un apprentissage au même titre que le reste. J'ai mis du temps à savoir ce que j'aimais et qui j'aimais.
Au commencement, à l'enfance, j'ai docilement suivi les modèles que l'on me proposait dans mes livres d'images, les contes de fée, les dessins animés puis dans les séries télévisées anglo américaines dont je me suis gavée : le blondinet, entre le prince et le minet, charmeur et galant, aux traits fins et aux mains délicates. J'essayais de m'approprier l'idéal masculin occidental puis de le retrouver dans la forêt de visages des cours de récré, des rues, des dance floors. Je cherchais un visage à aimer, très vite, très jeune. J'ai toujours eu cette préoccupation, l'amour, aimer. Aimer bien plus qu'être aimée. C'est la grande affaire de ma vie depuis que l'on m'a raconté ma première histoire. Tout commence par les histoires pour les humains. Et on ne vit ensuite que pour ça.
Très vite, très jeune il y a donc eu ce besoin pressant, urgent d'aimer, sentimentalement parlant. Il y a eu l'inquiétude de ne pas trouver, de ne pas réussir. Et très vite, très jeune, ce besoin s'est heurté à la réalité très décevante, incapable de le satisfaire. La réalité des garçons bruyants et brutaux. La réalité des visages grossiers, mal finis puis boutonneux, des corps lourdauds, patauds, velus, moites, sales.
Autour de moi pourtant, les jeunes pubères s'émerveillaient sur certains d'entre eux, leur déclaraient leur flamme sur des feuilles quadrillées qu'elles pliaient soigneusement en six avant de les déposer dans un cartable élu (les textos n'existant pas encore...). Autour de moi, celles qui venaient d'acheter leur premier soutien-gorge, collaient dans leurs chambres des affiches de chanteurs à la peau dorée et aux chemises ouvertes sur des torses sculptés. J'essayais d'éprouver moi-aussi leurs transes et pâmoisons ou au moins de les copier. J'enviais leurs extases, leurs yeux éperdus, leurs frissons, lorsque passaient près de nous quelques représentants de leurs idoles secrètes. Elles rêvaient "qu'on les embrasse sur les lèvres pas comme une enfant", en caressant leurs bracelets brésiliens. Tandis que je restai rageusement insensible à la réalité masculine environnante, avec pourtant au fond de moi la furieuse envie de désirer aussi.
Et puis est arrivé l'âge où je me suis enfin adaptée dans une certaine mesure à cette réalité, où j'ai pu, moi-aussi, éprouver mes premiers émois pour des garçons en chair et en testostérone.
Et surprise, ils ne ressemblaient pas du tout à ce que mon esprit avait façonné comme idéal depuis la tendre enfance. J'étais troublée, désorientée, je ne comprenais plus qui j'étais. Il y avait une force mystérieuse qui me poussait vers des "types" d'êtres auxquels j'avais toujours été indifférente, des êtres qui ne correspondaient pas aux "critères" que je m'étais forgée en imaginaire sur la base de quelques maigres ressources fictives.
J'ai découvert que je pouvais m'ouvrir à d'autres physiques et surtout quelque chose que j'ignorais totalement, je pouvais ressentir une attirance pour un style, une aura dégagée, quelque chose d'assez abstrait et sur lequel je n'arrivais pas à apposer de mots précis, qui supplantait l'image stricto-sensu, l'apparence. La beauté est devenue une notion beaucoup plus mouvante même si toujours très importante (il faut que mes yeux soient séduits physiquement même si c'est avec les yeux de l'amour, ceux qui distordent et n'ont plus d'objectivité, le plus joli des regards et le plus fort aussi). Quelque chose que l'on ne pouvait pas déceler à première vue. J'ai découvert que la première impression n'était pas toujours définitive, que les lignes, les perceptions pouvaient bouger, évoluer, s'incliner.
Je me suis mise à aimer des personnalités, des êtres qui incarnaient selon moi, une idée du "cool".
Je me suis mise à aimer ce que j'aurais voulu être et que je ne serai jamais et je crois que ce penchant ne m'a jamais quittée. J'aime les hommes aussi ouverts et festifs que je suis renfermée et mal à l'aise socialement, aussi spontané et simple que je suis calculatrice et torturée. J'aime leur vie aussi remplie et trépidante, leurs concerts de rock, leur we à Amsterdam, à Barcelone, que la mienne est plate et vide. J'aime les hommes séducteurs qui n'ont pas peur d'affirmer, de montrer leur désir, même si cela m'effraie autant que cela me ravit (quand j'y suis sensible sinon cela m'agace plutôt). J'aime les hommes que j'admire, qui me surprennent parce qu'ils sont différents de moi mais une différence convergente, une différence qui vient améliorer ce que je suis, me prolonge et n'entre pas en conflit, ne m'abîme pas même si elle peut parfois me bousculer positivement. Une différence qui me complète, m'enrichit. Toutes les différences n'enrichissent pas contrairement au bête dicton populaire.
Si je passe en revue tous les garçons, les hommes avec lesquels j'ai à un moment ou un autre envisager quelque chose, sans que rien n'advienne jamais bien entendu, je remarque une certaine constante, un fil conducteur, une sorte de logique. Et je remarque aussi qu'une éducation a lieu aussi en la matière. Le goût s'éduque au fur et à mesure qu'il se forme, il s'affine, se précise, se développe, s'enrichit parfois ou au contraire se précise, se concentre sur un genre particulier. Une amie me disait qu'elle avait appris à aimer les noirs en sortant avec un antillais pendant quelque temps. Avant elle ne savait pas qu'elle pouvait les aimer. Elle ne pensait pas à les regarder ou à les considérer comme amant, amoureux possible.
De mon côté, je ne savais pas que je pouvais aimer la maladresse, des petits défauts qui deviennent touchants sur quelqu'un, la port des lunettes, une façon de plisser des yeux, de fumer une cigarette, de sourire, de porter une veste, une arrogance, une insolence cachant une fragilité... Ce qui est amusant, c'est de voir comment une rencontre, un attrait en nourrit voire en créée un autre. Je peux me sentir attirée par quelqu'un parce qu'il va me rappeler un précédent amour, tous les visages croisés et aimés, finissent par converger et ajouter à la palette de mes désirs des nuances nouvelles dans lesquelles je peux piocher pour ressentir un nouvel émoi. J'aime retrouver quelque chose de familier, quelque chose de connu dans un nouveau visage : une attitude, une chevelure, une allure, une façon de rire, de plaisanter... Je ne suis jamais tombée amoureuse de quelqu'un de radicalement différent de ce que j'aime habituellement depuis l'âge de 16-17 ans, je reste dans un certain sillon, un certain genre d'homme, à quelques variantes près.