Confusion
Les hommes se bousculent les uns après les autres dans ma tête au gré des tempêtes et des naufrages, je les chasse, je les rappelle, je les cache dans des tiroirs, je les chiffonne en boule dans les corbeilles avant de les en ressortir parfois, de défriper, de défroisser leur image et de me remettre à la caresser avec espoir jusqu'à la nouvelle déception. Je suis ballotée d'un prénom à l'autre, je tangue d'un visage à l'autre et je déteste toujours autant cette multiplicité.
J'ai réactivé la manne à rencontres, je me remets discrètement sur le marché, sans grande conviction, sans grande motivation. Avec le même automatisme que j'accomplis ma besogne quotidienne, je ne sais pas vraiment ce que je pourrai faire d'autre.
Mais quelque chose ne va pas, je me sens perdue dans mes attentes, j'ai l'impression de ne plus réussir à aimer et encore moins à désirer, je ne crois plus en l'amitié, à une humanité entre homme et femme, j'ai perdu confiance, je ne crois plus en un quelconque lien possible avec les hommes autre que sexuel, celui qui m'est le plus inaccessible pour ne pas dire impossible. Et pourtant je souffre profondément de l'absence de présence masculine à mes côtés.
Ils ont tous déserté les uns après les autres, même les plus fidèles. Aujourd'hui je n'ai plus aucun contact autre que professionnel (j'oubliais ce lien qui reste une alternative possible au sexe) avec les hommes.
Pourtant j'aime tant ces échanges privilégiés avec les hommes que j'ai pu goûter hélas trop brièvement dans le passé. Je me sens très honorée lorsqu'ils acceptent de se confier à moi, de déposer leur lourde armure, d'assouplir la rigidité. J'aime découvrir leur sensibilité et leurs perceptions si différentes des miennes, de celles des femmes, j'aime qu'ils me montrent le monde tel qu'ils le voient avec leurs yeux d'hommes. Ma curiosité pour les hommes est insatiable, je ne pourrai jamais me lasser de les écouter, de les "apprendre", lorsqu'ils acceptent de me parler. Je dévore tout ce qu'ils veulent bien me donner. Je les questionne sans fin, ils en sont abasourdis, étonnés mais souvent flattés, j'aime leur faire plaisir, comme une fillette veut éblouir son père.
Tous ces instants volés avant l'échéance fatale qui me guette et qui sonnera le glas de notre relation naissante.
J'aime ces relations ambiguës entre complicité et séduction, ces relations où l'on ne sait pas vraiment ce que pense l'autre, ces moments flous où tout est possible, où il reste une part de mystérieux, de merveilleux.
J'aime avoir des rendez-vous, retrouver un homme, voir un homme qui m'attend au coin d'une rue, devant un cinéma, un café. Marcher à ses côtés, plaisantant, riant, faire rire un homme j'adore cela, le sentir attentionné à tout ce que je dirai, penserai, le sentir tout à moi, le posséder au moins mentalement, entièrement dans ses moments là. J'aime charmer, séduire, savourer cette légèreté, cette insouciance qui s'emparent alors de moi.
Je ne comprends pas pourquoi il faudrait y mettre fin, pourquoi tout briser brutalement.
J'ai besoin de tellement plus de temps que les hommes ne veulent bien m'en consentir. Les hommes sont si pressés, ils doivent bâtir des empires, parcourir le monde, voir des amis et... conclure vite et bien.
J'ai perdu des hommes chers à mon cœur auxquels je pense encore souvent, sans doute parce que la solitude me pèse. J'ai perdu leur attention, leur complicité, leur estime parce qu'ils n'ont pas compris ce que je "cherchais". Je les cherchais eux pourtant. Les hommes sont trop cartésiens, trop binaires.
Je ne leur en veux pas de m'avoir fait souffrir, je sais qu'il y a des murs d'incompréhension qui ne peuvent être abattus. J'essaie de me trouver des repères, des explications à tout cela pour m'empêcher de sombrer, pour me rassurer aussi, des clichés peut-être, mais les clichés c'est notre réalité.
J'aimerais pouvoir retrouver confiance, être certaine de ne pas être abandonnée, être certaine qu'il n'y aura pas ce silence, cet abîme de néant insupportable qui se dressera subitement entre nous. Ce massacre, ce carnage. Inévitable... je crois.