Tenter l'aventure...
Ces derniers temps, je ne supporte presque plus d’être seule, je recherche d’une façon inédite et un peu frénétique, la parole, le contact avec les autres, n’importe qui. J’accueille même la SDF, qui vient quémander quelques pièces, avec gratitude. Echanger des mots, bavarder, sourire pour un rien, faire semblant d’être vivante jusqu’à réellement l’être, tout pour ne pas me retrouver seule face au fauve qui tourne en rond dans ma tête. Il faut tromper l’ennemi toujours, c’est ce que nous passons tous à faire plus ou moins en remplissant les cases de notre emploi du temps. Et aussi bête et mécanique que cela puisse paraître, force est de reconnaître que cela fonctionne. L'émulsion, la friction à l'air vif et vivant finissent toujours par couper la tête aux démons, au moins le temps qu'elles durent.
La perspective d’un we seule, sans aucun projet, aucun rendez-vous, me fait sombrer, alors que cela a toujours été la norme de ma vie et me réjouissait même à une époque, toute cette tranquillité et liberté qui m’attendait, sans contrainte, sans obligation.
Je comprends enfin ces âmes seules qui redoutent de rentrer chez elles parce qu’elles n’y trouveront personne pour les accueillir. Ces âmes qui allument la télé ou la radio juste pour avoir un bruit de fond, des voix et des présences même virtuelles autour d’elles. Ces âmes qui stagnent les unes à côté des autres au zinc d’un bistrot, qui ne font rien de plus que d’être ensemble. Je n’en suis pas encore à ce stade mais je crois que je suis en « bonne voie ».
En bonne voie pour préférer être dehors que chez moi.
Il est nécessaire de ne plus s'autosuffire, de ne plus supporter la solitude pour pouvoir aller vers les autres et les accepter dans leurs imperfections ou même dans leur ennui. Il est nécessaire de préférer s’ennuyer à deux que seule. Il est nécessaire d'atteindre un sommet intenable de vulnérabilité et de manque. De ne plus avoir le choix, d'être dans une sorte d'urgence des autres.
Je cherche des compagnes, des compagnons pour aller au cinéma, au théâtre, voir une expo, prendre un verre en terrasse. Cela ne m’intéresse pas, plus, d’y aller seule. J’ai une telle envie de partager, d’être avec les Autres, de me sentir légère, insouciante, de m’amuser d’un rien.
« Profiter de la vie », cette injonction me taraude à tout instant, il y a tant de choses que j’aimerais pouvoir faire, tellement de plaisirs que j’aimerais goûter. Je reviens de très loin mais j’ai envie de revenir, j’espère avoir encore suffisamment en moi d’élan vital pour y parvenir. J’ai envie de réapprendre tout cela, réapprendre à accepter des invitations, réapprendre l’immersion, que tout cela me redevienne naturel. Redevenir celle que j’étais jusqu’à l’âge de 10 ans, lorsque ma plus grande joie était de me rendre à un anniversaire ou d’inviter des amis à dormir. Je ne vivais que dans l’espoir que ma mère accepte de bien vouloir inviter l’une ou l’autre de mes camarades après l’école ou me laisser aller chez eux. J’ai encore du mal à comprendre comment j’ai pu me transformer en cette ermite mal à l’aise, renfermée et réticente à toutes les sorties.
Je dois encore fournir des efforts pour retrouver ce goût des autres, vaincre les peurs et les inconstances de la créature flasque et rose, mais je sens qu’une nouvelle envie souffle en moi. Quelque chose s’est rallumé et même si la flamme a pu se tarir, elle résiste malgré tout aux vents contraires. Je n’ai plus envie de me lamenter des mois, des années sur un malheureux énième échec sentimental. Je n’ai plus envie de conditionner mon bonheur, mon bien-être à un seul paramètre, celui de trouver l’amour. J’ai juste envie de prendre tous ces petits fragments de bons moments là où l’occasion se présente, ne plus les laisser passer, ne plus regretter. J’aimerais juste… tenter l’aventure.
(je reprends la suite de mon texte "Huis clos" prochainement)
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